samedi 8 janvier 2022

Emmanuel Carrère, Limonov

 Emmanuel Carrère, Limonov, P.O.L., 2011.

 

Le genre : l’histoire d’un mec, et un peu aussi du rapport de l’auteur à ce mec.

 

L’histoire : ce livre raconte l’histoire d’Edouard Limonov, un baroudeur-aventurier russe qui a grandi sous Khrouchtchev et Brejnev, a vécu en France et aux Etats-Unis, a fait la guerre en ex-Yougoslavie, a fait de la prison. 

 

Mon avis : Ça se lit hyper bien. Le style est franc et direct, sans chichis. Et la personne dont il est question est ce qu’un intervieweur appellerait un « bon client » : sa vie est franchement aventureuse. Limonov, c’est vraiment un gars qui a décidé qu’entre sa naissance et sa mort il se passerait quelque chose, et qui subordonne sa vie à cette volonté qu’il se passe quelque chose. Il prend des risques. Il fait des conneries. Il a un côté dur. Si vivre en héros c’est agir sans trop penser aux causes et, surtout, sans trop penser aux conséquences de ses actes, alors la vie de Limonov a quelque chose d’héroïque. Donc tout ça se lit facilement, comme un roman d’aventures, avec en plus un côté « histoire contemporaine de la Russie et de l’Europe », puisque Carrère emmène le lecteur des années Brejnev aux années Poutine, de la Russie au Kazakhstan, en passant par Paris et les Etats-Unis – bref y a de l’action.

C’est aussi un livre qui a un côté presque « inspirant » comme on dit. Le fait qu’il raconte l’histoire d’un aventurier qui prend des risques et n’en a rien à foutre de que les autres pensent de lui, ça en fait un livre sur le courage et l’intérêt d’en avoir. 

Par ailleurs il y a des passages drôles. C’est un peu un humour à la Houellebecq, qui découle de l’aptitude de l’auteur à relever des choses cocasses ou un peu ridicules. Ça marcherait encore mieux si ce genre d’humour venait au milieu de narrations ultra-laconiques à la Houellebecq justement, mais c’est sympa de sourire voire de rire plusieurs fois dans ce livre.

Il y a certains passages qui ont déjà un peu vieilli. Par exemple quand il dit que ça paraît lunaire et à peine croyable en France, pour un vieux type d’extrême droite, de susciter l’intérêt de jeunes punks. Ou quand il évoque les bienfaits de la méditation. Ces passages-là, du fait de l’extension ces dernières années du domaine de l’extrême-droit, d’une part, et du domaine de la méditation, d’autre part, seraient probablement écrits un peu différemment aujourd’hui. 

Les passages où l’auteur explicite son rapport à son personnage sont intéressants et font de chouettes respirations ou contrepoints au récit. Il y a d’ailleurs des moments où on aurait envie de dire à l’auteur, « vas-y, choisis ton camp : si tu veux parler de Limonov, arrête de ramener ta fraise pour un oui ou pour un non ; si tu veux parler de ton rapport à Limonov, fais le davantage, fais le mieux, fais le à fond ». Carrère a une fesse dans le pur roman et une fesse dans l’autofiction genre « mon rapport à Limonov ». On devine que ce qui intéresse Carrère dans Limonov c’est le fait que cet aventurier ait fait tout ce qu’un bourgeois français né dans les années 50 (Carrère) n’a pas envie, pas besoin, et pas les ressources pour faire : prendre de gros risques, vivre comme un clochard, aller en prison, faire la guerre. Mais on le devine seulement puisque Carrère ne va pas complètement au bout de l’élucidation de son rapport à Limonov.

Du coup les quelques moments où Carrère donne son avis sur Limonov (en le défendant par ci, en pointant son immoralité ou sa méchanceté par là) ont un côté un chouïa agaçant : on a envie de dire à Carrère, « Emmanuel je suis assez grand pour me faire un avis tout seul sur ton héros ; si toi tu as envie de parler de toi, fais le carrément, fais le à fond, va jusqu’au bout ; dans le cas contraire, laisse moi avec ton héros, je m’en débrouillerai, t’inquiète ».

A la fin du livre, Carrère se complique un peu la vie. Au lieu de nous laisser sur une impression forte et intense et poétique et émouvante (s’il avait arrêté son dernier roman au dernier mot du dernier chapitre), il tient à faire un épilogue, et son épilogue (comme à peu près tous les épilogues d’ailleurs) est un peu poussif, comme s’il fallait absolument synthétiser, expliquer, coiffer, la vie de son héros qui n’en a nullement besoin. (Ça ne m’étonnerait pas que ça soit l’éditeur qui ait réclamé un épilogue d’ailleurs). Ces quelques pages en trop font penser à la phrase de Stravinsky qui disait qu’« il y a beaucoup de morceaux de musique qui finissent trop tard ».

Un livre qui se lit vite et bien et transporte le lecteur. Pas pour autant le genre de livre qu’on a envie de relire toute sa vie ou dont on regrette que la fin approche (quant à moi j’étais suffisamment dans le livre pour n’avoir pas envie de sauter des  passages, mais pas assez envoûté pour vouloir que ça dure – à la fin j’ai lu de plus en plus vite, comme un polar, un peu pour connaître la fin, un peu aussi pour en finir). Un livre dont le style simple et direct donne envie d’avoir le talent et le courage d’écrire comme son auteur : de manière simple et directe.

Et un livre qui donne envie de jeter un œil (voire de lire) Yoga son dernier livre.