dimanche 29 décembre 2019

All Black

on dirait les all black
mais c’est pas les all black
c’est du pipeau
c’est pas des rugbymen
ni des rugbywomen
c’est juste
à cause que
leur frère est mort
alors elles portent le deuil
même que y en a une
c’est pas son frère
qui est mort
c’est son fils

mais c’est pareil
elle est toute en noire
alors elles sont plusieurs
tout en noir
et c’est joli
ça fait une belle couleur
homogène
et ça fait fulgurer
les cheveux d’or
de la fille
au coeur d’or
de la mère
au coeur d’or
dont l’enfant
est mort

même qu’il est
enterré
là bas
pas loin
dans le bourg
troisième contre-allée
pas loin du marronnier
que monsieur le curé
a failli faire couper
l’année dernière
parce qu’il croyait qu’il était
mort
mais pas du tout
pas du tout
il était pas mort
il était juste 
malade
à cause d’un parasite

il était malade seulement

c’est pas les all black
c’est pas des rugbymen
c’est pas des rugbywomen
c’est juste
que leur fils
est mort
même qu’y en a une
c’est pas son fils
c’est son frère

c’est pas les all black
c’est pas des rugbywomen
c’est juste
que leur frère
est mort
même que y en a une
c’est pas son frère qui est mort

c’est son fils

La cérémonie

c’est une cérémonie religieuse
elle approche sa bouche
de sa bouche
il y a des miroirs
qui reflètent
et des lampes
qui éclairent
et des éclaires
dehors
qui grondent
et les bouches
se rencontrent
et la cérémonie
continue
les cheveux
s’entremêlent
les bouts des doigts
font des chatouilles
sur les peaux
c’est une cérémonie
païenne
et immémoriale
et qui va
à l’os
et même
jusqu’à la moelle
de l’os
et même
jusqu’aux tréfonds
du coeur
de la moelle

de l’os

Petit hippopotame

c’est le plus bel hippopotame du monde
avec des dents festonnées
et des joues toutes douces
et un regard tout doux
et des oreilles harmonieuses

l’hippopotame est triste
aujourd’hui
mais demain
ça ira mieux
quand il est triste
l’hippopotame
ses yeux sont humides
mais ses dents sont toujours aussi belles

je vais le foutre à l’eau, l’hipopotame
c’est sa place
c’est son destin
c’est là qu’il sera bien
demain j’irai
je le prendrai dans une grande corbeille
en osier
et je dirai aux passants
où est la rivière ?
et les passants me répondront
elle est par là-bas la rivière
et ils me montreront le chemin
avec leur index tendu
et je les remercierai
et je continuerai mon chemin
et dans une main j’aurai un bâton 
et avec l’autre main
je carresserai
le dos
de l’hippopotame
du peitt hippopotame
qui respirera doucement
au fond de la corbeille
en osier
et je lui murmurerai des paroles
rassurantes
je lui dirai
petit hippopotame
petit hippopotame chéri
là où je t’emmène
tu seras bien
tu seras mieux
que chez moi
petit hippopotame
c’est dans l’eau que tu seras mieux
petit hippopotame
tu me manqueras 
petit hippopotame
tu es beau
petit hippopotame
et je verrai briller
dans l’obscurité 
du fond 
du panier 
d’osier
ses dents festonnées
je lui demanderai
tu souris?
il ne me répondra pas
mon petit hippopotame
mais je sentirai
à travers
la paroi
du panier
en osier

battre son coeur

tout doux

c’est une petite chatte
avec de longues dents
pointues
elle s’en sert
pour croquer
dans des pommes
vertes
et quand elle est dans l’obscurité
ses dents brillent
tellement elles sont blanches
sauf quand elle referme
sur elles
ses lèvres
roses
mais c’est rare
car elle est
rieuse
elle est amoureuse, aussi
c’est pour ça
et elle n’aime pas que les pommes
elles aime aussi
les fraises
un jour ses dents seront usées
mais d’ici là
elle les fait
fonctionner
miam
elle est portée
sur la
manducation
et parfois elle mâchonne
mes lèvres à moi
je lui dis
aïe,
aïe, arrête
mais elle continue
mais elle continue 
plus doucement
et à la fin elle me mâche tellement doucement
que ça devient
tout fondant
et tout doux
et quand toutes ses dents
seront tombées
je crois que
ses baisers
seront toujours

tout doux

les fentes

ce sont deux petites fentes
par lesquelles presque rien ne passe
sauf un tout petit peu de lumière
qui n’éclaire rien
ce sont deux petites fentes
qui se contractent
se dilatent
se contractent
se dilatent
et la lumière va et vient
autour
et si trop de lumière rentre d’un coup
il devient fou
alors il les contracte souvent
ces deux petites fentes
il n’a peur de rien
sauf de la folie
et de la nuit
et peur aussi que son passé
lui coure derrière
et souffle dans sa nuque
et morde son cou
avec ses grandes dents pointues
il est assez peureux
au fond
mais par instants
il a des bouffées
de courage
et alors ses deux petites fentes
il les dilate
et il regarde
le soleil
droit dans les yeux

ce sont deux petites fentes
un jour à force d’avoir trop regardé
ses deux grands yeux seront brûlés
et il sera rassasié
alors ça ne sera 
même pas
grave
et il ne regardera plus rien
ni le soleil
ni les hommes
et il s’allongera
sur la paille
et il sourira

et il s’endormira

quelque chose

y a quelque chose à l’intérieur
qui la ronge
qui la ronge
y a quelque chose à l’intérieur
elle y plonge
des fois
elle s‘y baigne
elle sait qu’elle ne
devrait pas
mais elle s’y baigne
c’est corrosif
ça lui pourrit
la peau
ça lui bouffe
le coeur
ça lui fait plein de flotte
à l’intérieur
et ça va 
ça va
ça va 

y croupir

vendredi 27 décembre 2019

la trouée

une trouée dans le paysage
qui mène
du bleu
dedans
du blanc
derrière
ouais
troue, troue
troue le paysage
toi là haut là
toi là
ouais
troue les briques avec ta lumière
et nous on passera à travers
les trous
et on ira
dans des clairières
vertes
et jaunes
et on s’y roulera
dans la  gadoue
et si y a pas de gadoue
on se roulera
dans l’herbe
et si y a pas d’herbe
on se roulera
par terre
et on te regardera
pour une fois

dans les yeux

jeudi 19 décembre 2019

Ha ha, ha ha ha

ha ha, ha ha ha !
rosa la rouge !
barbe-bleue !
ouais !
on a tous une couleur !
pertes blanches,
pomme verte
et rouge
et orange
y a tout ce qu'il faut
toutes les coulelurs
et y a elle
y a toi
y a jeanne
jeanne la rousse
rousse comme qui aurait une barbe rousse
mais toi jeanne tu n'as pas de barbe
mais si tu avais une barbe, jeanne
elle serait rousse
elle serait rousse
et relativement longue
car tu es saine, et tu as l'air en bonne forme
et quand on est en bonne forme, ça pousse

et ta barbe arriverait jusqu'au sol
peut-être
qui sait
selon la hauteur du sol
aussi
bien sûr

ha ha, ha ha ha
rosa, rouge
pertes, blanches
barbe, bleue
pommes, vertes
rose, jaune
et toi, 
jeanne

rousse

vendredi 25 octobre 2019

vendredi 18 octobre 2019

Avant de larguer les amarres


Avant de larguer les amarres
Il faut soigner son départ
Il faut bien se dire au revoir
Ou adieu, on ne sait pas

Avant de larguer les amarres
Si le cœur se serre
On dit au revoir
Comme on peut

Avant de larguer les amarres
De s’en aller pour toujours
Des fois on a envie
Encore une fois
De faire l’amour

On sait qu’on est sur le départ
On sait que ça ne rime à rien
Mais on le fait
Quand même
Sous un lustre
Dans des draps frais
Avec la lampe
Allumée
Sur la table de chevet

Avant de larguer les amarres
Il y a des fois
On s’aperçoit que c’est trop tard
Trop tard pour partir
Trop tard pour rester
Alors on s’en va tête baissée
Amarres larguées
On s’en va
Dériver
On s’en va
Chavirer

lundi 7 octobre 2019

La forêt de mon enfance


dans la forêt de mon enfance
il y a des fougères
et de la bruyère
et des arbres
centenaires
ou millénaires je ne sais plus
et je me jette à leurs pieds
et je leur récite
des haikus
dont celui-ci
coucou, arbre, coucou
et la suite
je l'ai oubliée
mais ils m'aiment
ou en tout cas ils sentent que je les aime
ou en tout cas au moins moi je les aime
avec leurs grandes racines
leurs grandes souches
leurs grandes branches
et leurs grands airs
un peu con
mais tellement 
sincères

mardi 6 août 2019

Noémie


Il y a Noémie
Sur le pas de sa porte
Et elle sourit 
Mais à qui ? 
Et voici quelqu'un
Avec un short bleu foncé
Et qui avance dans l'allée
Du jardin
Et qui sourit
Aussi
Et il porte dans ses bras un immense
Sac
A dos
Et qu'y a t il dans le sac 
A dos
Qu'il porte dans ses bras ?
Noémie
Ne sait pas
Je 
Ne sais pas
Il 
Le sait
Mais on
S'en
Fout
Car ce qui compte
C'est qu'il sourit de plus en plus
Et il sourit tellement
Qu'il commence à avoir mal
Aux commissures 
De ses lèvres
Surtout la droite
Et il finit par s'approcher
De Noémie
Et il dit à Noémie
Bonjour
Et c'est tout ce qu'elle veut entendre
Noémie
Elle ne veut pas de longs discours
Elle veut juste 
Le monsieur
Alors comme elle le
Veut
Elle le
Prend

Dans ses bras

vendredi 28 juin 2019

Mistery Trip


Mistery Trip

Ariane, de qui parles tu ? Car tu parles. Car je t'entends. Alors c'est une preuve. Les sons, un par un, sortent de ta grande bouche. Et viennent ricocher contre mon tympan. Le droit. Car le gauche, je l'ai perdu. Même que je sais où je l'ai perdu. Mais des fois il ne suffit pas de savoir où on a perdu ce qu'on a perdu pour savoir où le chercher, parce que des fois on sait qu'il est tellement perdu que ça ne sert à rien de le chercher. Ça m'a fait ça, déjà, une fois, il y a longtemps, avec mon enfance, tombée un jour, dans un canyon, en même temps que mon papa alpiniste. Et ça me fait ça aussi avec mon tympan, crevé par une frite trop cuite, un soir que je travaillais. Car je travaille au contact des frites. Car je suis goûteur de frites. Je goûte des frites, et je rédige des rapports sur les frites que je goûte. Car je suis client mystère.
C'est mon travail. C'est ce à quoi je m'emploie, à présent. Avant, j'ai fait dans la boulangerie, j'ai fait dans la poterie, j'ai fait dans la boucherie, j'ai fait dans la restauration, j'ai fait dans la décoration, j'ai fait dans l'animation, j'ai fait dans la conchiliculture, j'ai fait dans l'agriculture, j'ai fait dans la culture, j'ai fait dans la malacologie, j'ai fait dans la liturgie, j'ai fait dans la bougie, dans les abeilles, dans la zoologie, dans l'employade de bureaux. J'en ai fait des boulots.
Client-mystère, c'est tout un art. On m'a formé pour. On m'a enseigné l'art d'entrer, l'air de rien, dans les restaurants, et de commander, l'air de rien, après avoir mimé une hésitation factice (en fait ce que je dois commander m'est spécifiquement notifié par le back office, avec interdiction absolue d'y déroger). Généralement je prends un kebab-frites, souvent. Car je suis un client mystère spécialisé. Spécialisé ès kebabs. Je suis une pointure, dans mon domaine. On m'a appris tout ce qu'il fallait. La formatrice, Nadia, était une jeune femme à longs cheveux raides descendant jusqu'en bas du dos, même que dès qu'elle se tournait je regardais la pointe de ses cheveux, et que de là je me laissais glisser, et je descendais en rappel jusqu'à l'endroit où j'imaginais le y qui annonce le sillon interfessier, et je ne faisais que l'imaginer, parce que son pantalon n'était pas si moulant, non, quand même pas, mais c'est pas grave, parce que, somme toute, c'est mieux d'imaginer. Je suis à l'âge où on a déjà compris ça ; et où on est encore en état d'imaginer. Je suis entre deux âges.
Je m'y attardais, sur ce y, et du coup comme par une malédiction les rares fois où quelqu'un me parlait, pendant ces quelques jours de formation, c'était quand j'y étais, en plein dedans, en plein milieu du y, en plein sur le point de jonction entre les deux micro-sillons en diagonale et le sillon vertical. John-Gérald, me disait Nadia en se retournant prestement, John-Gérald (je m'appelle John-Gérald), qu'est-ce que tu en penses ? Et là je bredouillais, Bah, beuh, boh, mais c'est normal parce que je n'avais pas encore appris à bien faire semblant - j'avais le droit, à l'époque, encore, de ne pas bien mentir.
Depuis, j'ai beaucoup progressé. J'ai d'ailleurs eu la meilleure évaluation, à la fin de la formation. Quelques tests, et Nadia m'a dit, John-Gérald, félicitations, ta formation est validée, tu es apte à te cacher, à mentir, à espionner, tu es apte à devenir (roulement de tambour) client mystère, et, dans son enthousiasme, elle s'est mis à crier sans raison, mistery trip, mistery trip, mistery trip. 
John-Gérald étant le meilleur du stage – il est vrai que nous n'étions que deux -, il était logique que lui soient confiée d'emblée les missions les plus délicates.
C'est donc à moi qu'a échu l'honneur d'inspecter le Birdy Blue Moon Rabbit Kebab. Le Birdy Blue Moon Rabbit Kebab était un fast-food branché qui avait ouvert ses portes quelques mois auparavant, et qui avait su se faire une réputation flatteuse auprès d'une partie de la bourgeoisie casteltriviste. Car le Birdy Blue Moon Rabbit Kebab (les habitués  disaient, le BBMRK. On se retrouve au BBMRK ?, disaient les uns. Passe au BBMRK, disaient les autres. Et de plus en plus disaient carrément, le BB. Si on allait au BB ? - Oh non, j'y ai passé toute la soirée hier – Ben oui mais où veux tu aller sinon ? - Bon d'accord, va pour le BB. Tels étaient les dialogues qu'on pouvait entendre dans les rues de Château-Trive depuis l'ouverture du Birdy Blue Moon Rabbit Kebab), car le Birdy Blue Moon Rabbit Kebab, disais-je, avait su, par de judicieuses opérations marketing, faire parler de lui, et donner à penser aux plus blasés des Casteltrivistes que, là-bas, au moins, il se passait des choses, et que là-bas, au moins, on s'amusait.
J'y suis allé. J'avais peur, évidemment, un peu. Ne risquais-je pas d'être repéré ? N'y avait il pas eu une fuite ? Le secret n'avait il pas été éventé ? Allais-je pouvoir mâcher furtivement, manger à mon aise, un kebab sauce samouraï, ou blanche, comme n'importe quel quidam ? Je crois que je transpirais, quand j'ai poussé la porte du BBMRK. Il faisait, il est vrai, chaud, et j'avais, conformément au dress-code qui m'était imposé par mon employeur, un bas de survêtement noir qui emmagasinait la chaleur. Mais quand même, j'avais un peu peur, et quand j'ai dit, d'une voix que j'espérais ferme et assurée, Un kebab-frites, quand le gars en face de moi, tandis que je comptais (discrètement) le nombre de taches d'huile graisseuse sur son tablier blanc, m'a répondu, non pas, comme je m'y attendais, Salade-tomate-oignon, mais Oignon-salade-tomate, les bras m'en sont tombés, j'ai perdu mes moyens, et j'ai balbutié, un peu comme quand ma formatrice m'interrompait dans mes rêveries quand j'en étais au y du haut de son fessier, Bah, beuh, boh, et j'ai eu l'impression, à ce moment précis, que le magasin entier avait repéré, sous son bas de survêtement noir, John-Gérald-le-client-mystère, et je crois que j'ai rougi, et je crois que je me suis dit, John-Gérald, es-tu vraiment fait pour ce métier, et je suis allé m'asseoir en titubant. Quelques instants plus tard, quand j'ai eu fini de mâcher et les frites et le pain et l'oignon et la salade et les rondelles de tomate et la sauce et que j'ai senti que j'avais la nausée je me suis dirigé d'un pas décidé vers les chiottes, où là, mobilisant non les outils qui m'avaient été donnés pendant ma formation mais sur un savoir-faire profane et immémorial, j'ai vomi un bon coup. Après quoi, revenant à ma place, j'ai sorti mon petit calepin en moleskine et mon stylo Parkerman (mon côté vintage, toujours), et j'ai noté, frites, bonnes, sauce, correcte, salade, ok, tomates, ok, oignon, bof. Puis, ma mission étant accomplie, et moi par conséquent libre jusqu'au lendemain (où je devais visiter le Rencard à Ankara, le midi, et, le soir, le Ugly Touchy Slurp Burger Bouffe), j'ai souri d'aise, me suis levé d'un coup sec, et c'est là, Aude, que le malheur est arrivé. Un gars passait, toutes frites dehors, et mon tympan gauche a rencontré une frite trop cuite et tout dure, et j'ai senti une vive douleur, et ai perdu l'équilibre. Je suis tombé par terre, me suis rassis, difficilement, sur ma chaise. Depuis je n'ai plus qu'un tympan. Je ne crois pas au hasard. L'espionnage ne paie pas. C'était mon premier jour : j'entrais dans la carrière, l'espionnage, la surveillance, le flicage. J'y ai laissé un tympan. Pour écouter aux portes, je n'ai plus qu'une oreille, la droite. Pour écouter tes conneries, Ariane, je n'ai plus qu'une oreille, la droite. Alors parle moi dans la bonne oreille, et dis moi, trois fois, Sincérité, Transparence, Bienveillance, Liberté. Et puis dis moi aussi trois fois, parce que c'est joli, et poétique, et parce que j'aime les frites, la sauce blanche, et les parties de cache-cache, dis moi, avec ta voix suave, et en détachant bien les voyelles et les syllabes, Mistery trip, Mistery trip, Mistery trip.