Il y a eu un pénible
contretemps. Par la faute de quelqu’un, mais qui ? Dieu ? Bah non puisqu’il
n’existe pas. Toi, peut-être. Forcément je te soupçonne. Et j’ai besoin d’un
coupable. ça me fera du bien ça me soulagera quand je le pendrai pas les pieds
l’éventrerai cracherai quelques mollards sur son nombril poilu et puis lui
tournerai dédaigneusement le dos. Je serai apaisé, si ça se trouve.
D’ici là je me contente
de hurler dans le vide, de maudire ce contretemps. Et quand je crie
contretemps, l’écho me fait entendre « contretemps », à contretemps, et c’est
une mise en abîme, et en plus comme je crie au bord d’une falaise, et vers le
bas, c’est une mise en abîme dans l’abîme, et ça, ça me console un petit peu.
Ça m’émerveille beaucoup donc ça me console un petit peu, et ça me fait marquer
un point dans cette longue vie où chaque geste chaque pas chaque inspiration
chaque exhalaison s’inscrit dans une lutte pour la consolation.
Consolation piège à
cons me disait mon père quand j’étais petit, je ne sais pas pourquoi il disait
ça, faut pas toujours chercher à comprendre. Moi je dirais simplement,
consolation, bon. Et à partir de ces deux mots je construirais une maxime, du
genre, La consolation, c’est bon. Et je me la ferais marquer, au fer rouge, sur
le front, et évidemment, puisqu’elle serait sur mon front, je ne pourrais pas
la lire moi-même, mais chaque fois que pendant la longue marche à laquelle je
consacre ma longue vie je croiserais un quidam je lui dirais, Holà, l’ami,
puis-je te demander mon bon de bien vouloir me lire ce qu’il y a sur mon front
? Et quand le gars me répondrait, désolé je suis analphabète, je maudirais
dieu, une fois de plus, et puis je me reprendrais et aussi mon courage et aussi
ma route, en me disant la prochaine fois ce ne sera pas un analphabète
peut-être seulement un illettré qui au moins en plissant les yeux et en se
concentrant très fort saura m’indiquer au moins une des lettres marquées sur
mon front. Et s’il m’en donnait une, et que je la retenais, alors je n’aurais
plus qu’à attendre de croiser un autre illettré qui suite à un puissant effort
de concentration m’indiquerait lui aussi une lettre, et peut-être une lettre
qui ne serait pas la même que celle indiquée par l’illettré précédent, et ainsi
de suite et à la fin de mon périple, d’illettré en illettré, je pourrais de
nouveau me mettre dans le crâne ce que j’aurais gravé sur mon front, La
consolation, c’est bon.
Il y aurait une
hypothèse plus favorable, où je tomberais directement sur un lettré, qui à ma
requête répondrait mais très volontiers monsieur, jetterait un coup d’œil sur
mon front, se permettrait peut-être d’en écarter une des mèches rebelles qui
s’y trouvent parfois, lirait et dirait d’un ton laconique et serein,
consolation, piège à cons. Mais là je réagirais, je dirais, comment ça
consolation piège à cons ! Comment ça ! N’est-ce pas plutôt (et là tout d’un
coup des tréfonds de mon inconscient, ou de ma mémoire, ou des deux, me
remontera la Vérité) n’est-ce pas plutôt : La consolation c’est bon ? Et devant
mes yeux terribles, prenant peur tout d’un coup il me dirait, Ah oui, pardon :
la consolation, c’est bon. Et là n’en pouvant plus de joie, de soulagement, de
sérénité, je l’embrasserais, sur le front, ou ailleurs, en lui disant, merci,
merci, merci, et partirais en courant dans la garenne, la bruyère, les landes,
c’est selon.
Et là je serais
tellement heureux, je me prendrais à douter, et le cœur plein de reconnaissance
et d’amour universel, je me dirais, Peut-être finalement que Dieu existe.
Mais alors s’il
existe, c’est peut-être lui. Je veux dire, C’est peut-être lui qui, tandis que
j’avais les muscles bandés et le regard braqué sur l’horizon ne m’a pas appelé,
puis qui, pile au moment où mon corps s’accordait un instant de répit, a crié,
Top départ. Et si c’est lui alors ce n’est pas toi, et si ce n’est pas toi
alors je me repens et suis désolé de t’avoir pendu par les pieds, éventré,
d’avoir craché sur ton nombril velu, puis de t’avoir dédaigneusement tourné le
dos. Je te présente mes excuses, les plus plates. Puissent ces excuses te
consoler. La consolation, c’est bon.