C’est
une discipline. Olympique. Le stay-in. Il faut rester. Le plus longtemps
possible. Le vainqueur est celui qui est resté le plus longtemps.
J’ambitionne
de représenter mon pays à la prochaine olympiade. Alors je m’entraîne : où
que je soie, j’y reste. Pas indéfiniment. Ça, je n’y parviens pas encore. Mais
longtemps. Au moins plusieurs heures. Mon record, malheureusement, n’a pas été
enregistré officiellement. Il est de plusieurs jours. Je me souviens très bien
de la manière dont j’avais procédé. Dédaignant les voix qui me disaient, vas-y,
vas-y, vas-y, j’étais resté, resté, resté. Jusqu’à ce qu’enfin je doive bouger,
pour je ne sais plus quelle raison. Une raison impérieuse, certainement. Ou
alors, peut-être, dans un éclair de lucidité, m’étais-je dit, regardant autour
de moi, Personne n’est là pour enregistrer mon record, le valider. Alors à quoi
bon. Oui, ça avait dû être ça mon raisonnement.
Je
retenterai, de toutes façons. Plus tard. Pour l’instant je me repose.
Je
fais du jus, comme disent les athlètes. J’aime cette expression, qui attire
l’attention sur le fait que ne rien faire, c’est faire. Parfois. Quant à moi je
me charge d’attirer l’attention des gens sur le fait que faire, c’est ne rien
faire. Parfois. Mais pas toujours. Dans certaines circonstances, je l’ai bien
vu : faire, c’est faire. Ça ne m’a pas échappé. Par exemple, lorsque je
fais le tour du pâté de maisons : faisant le tour du pâté de maisons, je fais
le tour du pâté de maisons. Sans ambiguïté. Pareil quand je fais du jiu-jitsu.
Et pareil évidemment quand je vais à la selle.
Tandis
que par contre, en revanche, au pmu en bas de chez moi, il y a des faiseurs,
qui ne font strictement rien, ils baillent, rient, parlent, boivent, jouent,
téléphonent, courent, sautent, vomissent, palpent, tripotent, chuchotent,
susurrent, lampent, lapent, loupent, flatulent, sortent, entrent, sortent,
entrent, sortent, entrent, s’esclaffent, devisent, trichent, parient, expectorent,
fument. Ils glandent. De véritables faiseurs, faiseurs de rien, de tout petits
riens. Ils feraient mieux de rester. Ils le font, parfois. Mais pas longtemps.
Ce ne sont pas à proprement parler des rivaux : la sélection pour les Jeux
olympiques, je le sens, ne m’échappera pas.
J’ai
de temps en temps la visite du sélectionneur. Il me voit, faisant, m’agitant.
Il me dit, Ne devrais-tu pas t’entraîner ? Rester ? Je lui réponds, Je
fais du jus. Il opine gravement, l’air pas convaincu. Il a un objectif précis,
qui lui a été solennellement notifié par sa hiérarchie. L’or. La médaille d’or.
Tout autre résultat, lui a-t-on bien dit, sera considéré comme un échec, trois
points de suspension. Il a bien compris. Limogeage. Alors il a besoin de
moi. Alors il louvoie. Il ne me dit pas franchement, Espèce d’abruti, tu vas
t’entraîner, oui ? Il est plus sournois, il transige. Il me demande, l’air
de rien, d’une voix flûtée, et en faisant semblant de penser à autre-chose, Ne penses
tu pas que tu devrais tout de même t’entraîner un tout petit peu ? Moi je
le laisse mariner dans son jus - car lui aussi en fait - et ne réponds pas, je
laisse passer un moment, regarde par la fenêtre, puis finis par répondre, Mmmh.
Il insiste, d’un air câlin : Un tout petit peu d’exercice, une fois de
temps en temps ? Il est agaçant, avec ses insinuations. S’il continue, je
vais m’énerver, y laisser de l’énergie, qui risquerait de me faire défaut le
jour J.
Les
jours J plutôt, car l’épreuve durera plusieurs jours. Elle sera d’ailleurs
retransmise en direct. Dans le monde entier. En intégralité. Ça ne me gêne pas.
Je ne suis pas vraiment exhibitionniste, mais j’assume volontiers de me montrer
en public.
J’en
profiterai pour faire coucou à ma maman. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas
vue. Elle n’habite pas très loin, et moi non plus. Mais c’est compliqué. Nous
différons la visite, la sienne ou la mienne. Nous nous ressemblons beaucoup, ma
mère et moi. Un jour, ce sera le jour de la visite : sentant un appel
pressant et irrépressible à venir me voir, elle ôtera sa robe de chambre, ou
son peignoir, ou les deux - elle se vêt volontiers comme un oignon, avec
beaucoup de petites épaisseurs. Son maillot de corps aussi elle l’enlèvera.
Elle se déshabillera, pour tout dire. Puis, elle s’habillera. Puis, elle
sortira. Puis, elle approchera, fera le code, montera l’escalier, sonnera. Je
ne serai pas là. Car sentant un appel pressant et irrépressible à aller la
voir, j’aurai enlevé mon pyjama, mon caleçon, enfilé mon queue-de-pie, ma
cravate, serai sorti, me serai dirigé vers chez elle, aurai fait le code de
l’immeuble, serai entrée (j’ai une clé) dans l’appartement, et l’aurai trouvé
désert.
Nous
nous laisserons chacun un petit mot. Mon cher fils - ma chère petite maman, je
suis passée - je suis passé, tu n’es pas là - tu n’es pas là, la prochaine fois
- la prochaine fois, gros bisous - je t’embrasse fort, à bientôt j’espère - à
bientôt j’espère. Et trouvant ce mot émouvant, chacun chez soi, nous sentirons
nos cœurs palpiter d’amour.
Alors
vivement les Jeux olympiques. Pour que je puisse faire, Coucou, maman.