Je
cherche à rencontrer une femme qui aurait le coeur à droite et alors quand on
ferait l'amour en missionnaire je sentirais contre mon coeur un petit coeur qui
palpiterait, ils se toucheraient presque à travers les peaux, puisque moi j'ai
le coeur à gauche, pas si loin que ça de l'axe, mais quand même à gauche. Mais
y a pas que le toucher y a l'ouïe aussi, et je tendrais l'oreille et
j'entendrais le bruit mat et régulier de ton petit coeur et je le sentirais
contre le mien et je comparerais et je sentirais bien que ça s'accélère. Mais
moi il bat pas très, très vite. Mon côté Bjorn Borg, Miguel Indurain. A l'école
j'étais le meilleur en endurance. Et si jamais tu as le coeur à gauche (9 999
chances sur 10 000 paraît-il) eh ben on fera quand même des coeur-à-coeur,
cuiller, levrette, ce qu'on veut, et ça fera boum-boum, et ce petit bruit
régulier nous bercera et nous endormira et on fera de beaux rêves pleins de
plages roses, de nuages gris-clair, de flamants bleus, de coquillages ronds, et
même à un moment je verrais un grand cygne blanc qui ferait coin-coin. Et puis
là tout d'un coup ça me réveillerait, le bruit, ben oui, mon coeur, qui bat de
plus en plus fort, c'est normal c'est l'amour, qui fait ça.
"If you're still in need of something to read…" Blog littéraire. Nouvelles. Poèmes. Poèmes en prose. Pièces de théâtre. Textes critiques.
lundi 13 mars 2017
vendredi 10 mars 2017
L'arbre en mousse
J’ai
un arbre en mousse. Pas besoin de l’arroser. Mais je l’arrose quand même, de
temps à autre, à tout hasard. D’après la notice, il peut vivre sans aucun
apport énergétique extérieur. Mais je me méfie, des notices. Encore
dernièrement, ayant cassé ma tirelire pour m’acheter un pull de laine vierge,
en vue d’un entretien d’embauche, ou d’un enterrement, ou d’un mariage je ne
sais plus, j’avais lu attentivement l’étiquette. Lavage jusqu’à soixante
degrés. Moi, docile, obéissant, bon garçon, j’obéis, et paf, rétréci. Adieu,
veau, vache, cochon, tirelire, entretien d’embauche, enterrement, ou mariage,
je ne sais plus. Alors prudence. Je l'arrose à l'eau du robinet, ou parfois je
détourne un peu d’eau de pluie et l’eau se jette aux pieds de mon arbre en
mousse qui alors gonfle, gonfle, comme un soufflé, puis retombe, comme un
soufflé, et c’est pas plus mal car s’il gonflait, gonflait, gonflait, sans jamais
se dégonfler, comment je ferais moi tel que vous me voyez avec mon studio de
douze mètres carrés, il faudrait à la fin me mettre à le tailler, l’entraver,
et caetera. Et j’ai d’autres choses à faire.
Mon
arbre qui croît et décroît : j’aime ces variations. Ça met un peu de vie
chez moi. Quand il est tout gonflé, il change aussi un peu de couleur, il
brille un petit peu, et ainsi j’économise l’électricité, et y a un côté
lampion, ça donne un air de fête. Ça donne envie d’organiser une soirée. Ou un
enterrement. Ou un mariage. Ou un entretien d’embauche.
Hier
n’y tenant plus j’ai craqué, j’ai téléphoné à ma voisine Jasmine, pour un
entretien d’embauche, l’entretien s’est très bien passé, je lui ai dit, on vous
rappellera, et j’ai craqué je l’ai rappelée, et je l’ai embauchée, puis
placardisée, car je n’ai pas de tâche pour elle, mais je la déplacardiserai dès
que j’aurai une idée, et ça y est j’ai une idée, je vais la préposer à l’arrosage
de mon arbre en mousse. Jasmine ! Venez me voir un instant, lui ai-je dit.
Alors j’ai entendu un timide, Oui monsieur, puis des bruits de craquement et de
halètement, enfin un immense fracas, et dans un nuage de poussière Jasmine,
impeccable dans son tailleur vert bouteille, est sortie de l’armoire normande
héritée de ma grand-mère qui me sert de placard. Monsieur ? a-t-elle
répété doucement, en s’époussetant. Jasmine, vous vous occuperez désormais
d’arroser mon arbre en mousse. Quelque chose est passé dans le regard de
Jasmine. Tranquillisez vous Jasmine, c’est assez simple, je vais vous montrer.
Alors j’ai pris mon grand arrosoir vert, avec sa belle pomme mordorée, et je l’ai
rempli à ras bord, et j’ai fait pleuvoir
sur mon arbre tout content qui s’est gonflé, gonflé. Une à deux fois par
semaine, ai-je dit en me redressant et en me tamponnant les commissures des
lèvres avec mon petit mouchoir écossais. Vous organiserez votre travail comme
il vous plaira. Seul le résultat compte, ajoutai-je d’un air martial, en la
foudroyant du regard. Puis, sur un ton faussement négligé : Vous serez
augmentée en conséquence. Je claquai des talons et partais.
Je
n’allai pas très loin, certes. Dans un douze mètres carrés, on se heurte vite
aux murs. Finalement j’optai pour aller faire une sieste réparatrice au pied de
l’arbre, déjà parfaitement sec. Ah la mousse quand même. ça a du bon.
Pour
ce qui est de le décorer, là c’est mes prérogatives. Si Jasmine travaille bien,
l’arbre brillera tellement que je finirai par organiser sinon un mariage du
moins un enterrement, et la chaleur humaine sera grande dans mon petit studio,
et encore dans des années quand nous nous croiserons, Jasmine et moi, à
l’épicerie, en faisant la queue nous nous coulerons des regards affectueux et
nostalgiques, plein de sous-entendus. Du genre, Vous vous souvenez,
Jasmine ? – Ah ! Si je me souviens monsieur ! Mais comment
oublierais-je ! et ainsi de suite. Il faut dire que c’était en toute
modestie un magnifique enterrement, un enterrement comme Jasmine en avait
rarement vu, peut-être même l’enterrement de sa vie ! Le plus bel
enterrement de la vie de Jasmine. Et de la mienne aussi. Il faisait beau, le
soleil entrait à flots par la fenêtre, nous pouvions goûter la fraîcheur à
l’ombre de mon arbre en mousse, et déguster des orangeades, des citronnades, et
les maintes boissons prévues par le jubilaire, un monsieur très organisé, qui
avait fait les choses très, très bien. Lorsque le soleil s’était couché, aucun
invité n’était parti. Tous continuaient à deviser, ou, quand ils n’avaient plus
rien de rien à dire, à se dandiner d’un pied sur l’autre, jusqu’à ce que
finalement je demande discrètement à Jasmine de signifier aux invités que
l’heure n’était plus aux mondanités mais plutôt à rentrer chez soi, sagement,
et sans faire de bruit parce que je ne veux pas d’ennuis avec la maréchaussée.
Jasmine fut comme d’habitude absolument impeccable. Les gens en partant avaient
le cœur lourd-léger, lourd de partir, et léger d’avoir assisté à un magnifique
enterrement, et je les entendais encore dans les escaliers se dire entre eux, Quel
bel enterrement, quel bel enterrement. Et c’est là que tout d’un coup frappant
mon immense front d’intellectuel avec la paume de mon immense main de bûcheron
je me dis ces mots, Flûte ! La boîte ! Car en effet, elle était toujours
là, elle avait été cachée à mes yeux quand les invités étaient assis dessus
mais elle était là et bien là. Et me narguait. Nous avions oublié de
l’ensevelir. L’enterrement n’avait pas eu lieu. Tout ça pour ça. Alors Jasmine
avec son habituel à propos (quelle sage décision que de l’avoir
désarmoirenormandisée !) ôta sa veste de tailleur et alla à toute vitesse
au rez-de-chaussée, en se laissant glisser sur la rambarde pour aller plus
vite, et suppliant à genoux les invités qui trainaient sur le trottoir obtint
de deux grands gaillards qu’ils remontassent pour nous aider à mettre le
cercueil en terre.
Mais
nous n’étions pas au bout de nos peines, car de la terre, il n’y en avait guère
dans mon douze mètres carrés. Qu’à cela ne tienne, dit un des deux grands
gaillards, Qu’à cela ne tienne. Et nous attendions la suite de son propos. Mais
il se contentait de répéter, Qu’à cela ne tienne, sans rien dire d’autre. Il
m’énervait. Je le congédiais, et l’autre gaillard aussi, et dès qu’ils furent
partis, je me mis à pleurer à gros sanglots sur l’épaule gauche de Jasmine, en
lui disant, C’est l’émotion, excusez moi Jasmine.
Je
pleurais de joie. L’enterrement n’avait pas eu lieu. La boîte était là.
disponible pour - peut-être même disposée à - justifier un autre enterrement,
un enterrement encore mieux, encore plus joyeux, avec encore plus d’invités, et
des orangeades et des citronnades encore meilleures, et des invités encore plus
gentils. Une ère nouvelle, pleine de joie, de félicité, de convivialité,
s’ouvrait pour moi. Alors je m’approchai de mon arbre en mousse, et en
entourant le tronc de mes bras et en sentant mon cœur battre contre lui, je lui
glissai doucement, Petit arbre en mousse, je t’aime.
dimanche 5 mars 2017
Cocoon
Ils vont rentrer dans
ma maison. Ils seront plusieurs. Je les attends de pied ferme. Malgré mon
pied-bot. Et ma jambe de bois. Mais je me maintiens, quand même. Debout j’ai
davantage de difficultés bien sûr. Mais en m’appuyant sur ce que je trouve ici
et là, un meuble, un tancarville, un piano, je parviens à garder de l’altitude,
suffisamment pour ne pas m’écraser, en général. De toutes façons, c’est assez
molletonné chez moi. A perte de vue, ce ne sont que coussins, moquette, peaux
de bêtes, descentes de lit, tapis épais, tentures moelleuses. Tout est fait
pour que les chutes soient amorties.
Ma mère-grand avait un
jour glissé chez elle, et s’était fracturé le col du fémur. Et, il y a quelque
temps, alors qu'il faisait mauvais, et que de toutes façons dans son état aller
à Franprix il ne fallait même pas y songer, je lui apportai un pot de yaourt et
un morceau de mimolette, et elle m’a dit que la vie quand le fémur est cassé
c’est tout de suite moins drôle. Alors aussitôt rentré chez moi j’avais jeté
les objets contondants, par la fenêtre, et commandé tout ce qui était mou et
douillet et qui passait à portée de clic, et mon intérieur en avait été
transformé. Maintenant tout n’y est que douceur, chaleur, cocooning. Je prends
soin de moi. Je suis comme qui dirait dans le care. Et je m’en sais gré. Et
ainsi c’est un cercle vertueux qui s’est installé, plus je prends soin de moi
plus je m’en sais gré plus je m’aime et plus j’ai envie de prendre soin de moi.
C’est beau, l’amour.
Malgré mon pied-bot et
ma jambe de bois, je sors de temps en temps, mais en rentrant chez moi, passée
la porte de l’immeuble et approchant de la porte de mon appartement, j’ai
souvent une soudaine faiblesse, alors dans un éclair de lucidité je me jette de
tout mon poids, vers l’avant, contre la porte d’entrée, qui cède sous la
pression, et je me retrouve derrière dans la soie et l’astrakan, la laine et la
ouate, le vison et l’hermine, et je m’y vautre et m’y câline et parfois m’y
assoupis.
Quand je me réveille
souvent je rampe jusqu’à la salle de bains, et là j’appuie sur un bouton rouge
qui est à 1,4 cm du sol, et grâce à un système sophistiqué de poulies, de
contrepoids, et d’écrous, de l’eau jaillit par un trou du plafond, elle est
tiède, ça coule pendant quatre minutes, après quoi, lavé ou désaltéré, c’est
selon, je rerampe, dans l’autre sens, me recouche, dans le même sens, et me
rendors, dans le même sens aussi, car je vais toujours dans le même sens,
d’arrière en avant, c'est à dire d’avant à après, donc de l’avant – vers l’avenir,
résolument.
Car je suis un homme
pragmatique. Ce qui ne peut être évité, il faut l’embrasser. Alors j’embrasse
le futur, et je l’étreins, et même je l’étreins tellement qu’il étouffe un peu
sous mon poids, il a le souffle court, le visage un peu bleu, avec des nuances
de violet. Mais je le sens robuste. Il en a vu d’autres. Il tiendra le coup, il
ne me lâchera pas en route. Il ne me laissera pas planté là.
Planté, si je puis
dire. Car de mauvaises langues, et il y en a dans le quartier, diraient volontiers
que je suis avachi, affalé, que sais-je. Alors que je suis seulement allongé.
Genre fumeur d’opium dans fumerie d’opium. Genre préfet romain en plein repas.
Genre voyageur égaré dans un train-couchette, et cherchant le sommeil au milieu
des ronflements et des odeurs de chaussettes. J’aime cette position. Le seul
problème, c’est le sang, qui a tendance à stagner je trouve. Le cœur pompe,
pourtant. Je l’entends, avec ses coups sourds, boum, boum. Doum, doum. Et ainsi
de suite. Mais j’ai l’impression que le sang circule un peu paresseusement.
Alors je me dis, peut-être que la gravité pourrait faciliter le trafic. Alors
j’essaie de me lever, et là le pied-bot, la jambe de bois, se rappellent à moi,
me disant, inutile mon gars. ça n’est même pas la peine d’y penser. Nous c’est
niet. Alors ça me met un coup au moral, et la mort dans l’âme. Puis, je sens
mon sang, dans mes veines, bien en place et en même temps en mouvement, comme
la mer, et le cœur dans sa cage, et l’eau dans la tête, tout ça bien au bon endroit.
Alors je me dis, Tout ne va pas si mal après tout. Et j'ajoute, Le mieux est
l’ennemi du bien, Mieux vaut un bon tiens que deux tu l’auras, et rasséréné par
ces sages proverbes je me blottis dans la fourrure et, le sourire aux lèvres,
je plonge dans un sommeil ouaté.
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