dimanche 21 mai 2017

Posez les pieds bien à plat

Dans la position dite de l’« acte de retour », cette variante de la levrette où je suis debout, elle est face à la petite table du salon, elle y pose généralement ses mains bien à plat. Ça me fait penser au rer, à Paris, à la voix qui dit, dans les longs couloirs où les voyageurs sont sur des tapis roulants couleur réglisse, Posez vos pieds bien à plat, et qui me fait rire, parce qu’à chaque fois que je l’entends j’imagine quelqu’un qui poserait ses pieds, mais pas bien à plat, et j’imagine les positions, pieds en poireau, pieds à la verticale, et je pouffe, et les gens autour de moi s’ils avaient le temps me voyant pouffer se diraient, C’est qui ce type, mais ils n’ont pas le temps car ils filent vers l’avenir, vers la suite, vers la prochaine correspondance.
Parfois ses mains sont un tout petit moins à plat. J’en suis sûr car je ne les quitte pas des yeux. J’aime les regarder. Elles sont belles, et puis elles bougent : ça me fait une cible mouvante. C’est l’idéal pour méditer, les cibles mouvantes, paraît-il. J’ai entendu Christophe André expliquer ça, un jour sur France culture : une cible complètement immobile, on a du mal à fixer son attention dessus, et alors c’est plus difficile d’atteindre la mindfulness et alors le nirvana je vous dis pas. Ses mains elle les déplace de temps en temps, parce que pourquoi pas, et puis peut-être aussi pour équilibrer l’attelage que nous formons. Et ça n’est pas facile facile, car la table où ses mains sont posées, bien à plat, n’est pas stable : elle est appuyée contre une cloison amovible ; et puis elle est sur roulettes, la table. Alors il faut faire attention. C’est aussi dans un souci d’équilibre que moi aussi mes pieds, si je suis debout, je les pose bien à plat, par terre. Comme dans le rer. Sauf quand y a une brique de lego qui traîne et que mon pied se pose dessus et alors je retiens un cri de douleur et je me reconcentre, je me reconcentre, je pense à Christophe André, et je me concentre sur ces deux belles mains, posées bien à plat, sur cette petite table à roulettes.

Il y a des petits bosses sur le dos de ses mains. Ces bosses toutes petites, sur des mains presque plates, ça me rappelle les pistes vertes en classe de neige quand j’étais petit, où la piste était tellement plate qu’on se demandait comment on réussirait à arriver non pas en bas mais au bout de la piste, et que les bosses, ce n’est qu’après avoir fouillé la piste du regard qu’on finissait par les apercevoir, cachées dans le mini-blizzard de telle bourgade du Massif central, sa boulangerie, son musée de la poterie, sa salle polyvalente. Et, donc, sa piste verte. Mais là, les bosses sur le dos de ses mains, si j’ai envie de les voir de plus près, il me suffit de me pencher un peu en avant, et alors je les vois de très près, je vois les veines bleues qui saillent, comme les racines de certains grands arbres. Alors que les bosses sur les pistes vertes, pour les voir de plus près, il fallait planter les deux bâtons, pousser dessus de toutes ses forces, et ainsi avancer de trois ou quatre mètres, et recommencer l’opération, pour finir par s’apercevoir que même de près, même de tout près, et même quand on est dessus, ces bosses, elles sont vraiment rikiki. Comme son rikiki, car je crois que c’est comme ça que ça s’appelle, ce petit doigt, où elle a gardé une bague, et qui brille, mais qui brille par intermittences, selon l’éclairage dans la pièce, et selon là d’où vient la lumière. Ça fait une cible mouvante, en soi, cette bague. Une cible mouvante dans la cible mouvante. Qu’en penserait Christophe André ? En tout cas la méditation c’est exaltant, c’est vrai ce qu’on dit, car je sens un grand plaisir qui monte, un sentiment de plénitude. J’ai chaud au ventre, et j’ai une vue magnifique. Et je n’ai pas de brique de lego sous les pieds. Et je suis tellement bien que quelque chose jaillit, mais hors de ma vue, et hors de la sienne aussi, mais peut-être que le quelque chose reviendra dans mon champ de vision, par exemple si ça la traverse sur toute la longueur et que ça ressort par l’oreille. Mais c’est pas possible, je crois, et je repense à madame Groisal, ma professeure de biologie, en quatrième, qui si elle était là, me dirait, allons, Romuald, tu sais bien que les liquides ne se déplacent pas n’importe comment dans le corps humain, ils suivent certains circuits bien définis, bien précis : le sang, c’est dans les veines, et le sperme, ça ne remonte ni au cerveau ni jusqu’aux oreilles, ni jusqu’au cœur, ni jusqu’au foie. ça s’arrête beaucoup plus bas.
Et alors je lui dis, reste un petit peu comme ça, encore un petit peu, c’est tellement beau, tes belles mains, posées bien à plat, sur ce petit bureau à roulettes, mais elle n’entend pas, car dans le même temps elle me dit, reste un petit peu comme ça, encore un petit peu, c’est tellement bon, de te sentir en moi, et je reste comme ça, les yeux allant d’une main à l’autre, se fixant sur la bague, et je pense à Christophe André. Moi, la méditation, j’aime bien.

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