samedi 11 septembre 2021

Mabanckou, Alain, Demain j'aurai vingt ans, Paris, Gallimard, 2010.

 Mabanckou, Alain. Demain j’aurai vingt ans

Gallimard, 2010 (réed. En Folio/Gallimard en 2012)

Mabanckou : auteur très réputé, professeur de littérature francophone à l’Université de Californie de Los Angeles, prix Renaudot en 2006, et directeur de la collection « Points Poésie » aux éditions Points. 


 
Demain j’aurai vingt ans, c’est l’histoire d’un enfant. Tout de suite je me suis dit, chouette, un enfant qui parle. C’est souvent mieux je trouve, un enfant qui parle, qu’un adulte qui parle. Au moins on a peu de chances de trop tomber sur des phrases pontifiantes et solennelles. On a de bonnes chances d’échapper aux lourdeurs qu’on trouve dans les textes d’adultes pour adultes. 
Ça se passe au Congo, à Pointe-Noire. Ça raconte la vie de Michel, dont on ne sait pas trop s’il a sept ans ou onze ans (c’est souvent comme ça dans les livres pour enfants). C’est le Congo des années 1970. C’est après la décolonisation, c’est avant la Chute du mur. Il y a des féticheurs, des pères polygames, des familles nombreuses, des goyaves. Le gamin habite une parcelle avec son père et sa mère. Il raconte sa vie, ses parents qui aimeraient avoir un autre enfant mais n’y parviennent, ses demi-frères (l’aîné qui a plusieurs amoureuses, un petit qui l’aide à resquiller pour assister à des concerts), l’école avec les punitions sévères du maître et le chouchou de la classe que les autres trouvent humiliant, l’oncle apparatchik du parti au pouvoir, etc.

Globalement un chouette livre. Ce livre donne à rêvasser sur ce qui se passe entre les deux oreilles d’un enfant, sur ce qu’il sent, et sur ce qu’il se raconte, et sur la manière dont il relie ce qu’il sent à ce qu’il se raconte. 
Je trouve que Mabanckou n’a pas réussi à retrouver exactement la manière dont un enfant se raconte sa vie. Il y a des moments où il met dans le langage de l’enfant des images et des pensées d’adulte. Par exemple, je ne pense pas qu’un enfant se dise, ça fait longtemps que personne n’a habité dans le ventre de maman, ni qu’un enfant que ses yeux piquent et qui sent qu’il est tout près de se mettre à pleurer se dise « j’ai comme une fourmi dans l’œil », ni que quand il voit quelqu’un griffer quelqu’un il dise « c’est comme s’il écrivait un livre sur son visage ». Je ne pense pas que les enfants quand ils se racontent des choses fassent tant que ça des comparaisons compliquées. C’est peut-être seulement parce que les enfants, quand ils se racontent leur vie, le font dans une espèce de flou, et que s’ils étaient davantage amenés à « tirer les choses au clair » ou à les « mettre au net » (comme on dit parfois à propos de l’écriture) ils useraient davantage d’images compliquées. Mais quand même : les enfants ont des impressions très fortes, mais pour la plupart d’entre elles ça n’est que plus tard, à l’âge adulte, qu’ils les mettent en relation avec d’autres sensations et d’autres choses. 
L’enfant reçoit et impressionne sur les plaques sensibles de son cerveau. 
L’adulte compare et situe les choses les unes par rapport aux autres. 
L’enfant sent. 
L’adulte situe. 
Tendanciellement c’est ça il me semble. 
Mais bon, si je trouve que certaines expressions et comparaisons du narrateur sont un peu forcées, c’est peut-être aussi parce que l’imaginaire et l’enfance de quelqu’un qui, comme l’auteur, a grandi au Congo dans les années 70-80 ne sont pas les mêmes que ceux de quelqu’un qui, comme moi, a grandi en France dans les années 80-90. Par exemple le narrateur dit souvent « or » là où, me semble-t-il, n’importe quel enfant dirait soit « et » soit « mais ». Mais si ça se trouve c’était banal pour un enfant congolais des années 70 de dire « or ». Faut voir. 
En tout cas, il faudrait comparer la fréquence  des « comme » et des « on dirait que » dans la bouche du narrateur de Demain j’aurai vingt ans et dans celle du Petit Nicolas ou du narrateur de La Vie devant soi. Il faudrait surtout comparer les comparants. Je pense qu’on s’apercevrait que les comparaisons sont à la fois moins fréquentes et plus simples, plus fluides, dans le Petit Nicolas ou dans Romain Gary que dans Mabanckou. 
Demain j’aurai vingt ans, c’est sur l’enfance, donc c’est sur la vie l’amour la mort, et par endroits c’est très émouvant – on aimerait que ça soit encore plus juste et encore plus nourrissant, mais c’est souvent très évocateur et par moments très émouvant. 

Au début de la lecture de ce livre j’ai espéré un excellent livre sur l’enfance. C’est plutôt un très bon livre sur le Congo des années 70-80.

J’ai chez moi un autre livre de Mabanckou. Je le lirai, ne serait-ce que pour voir si Mabanckou a d’autres tons que ce ton enfantin pas forcément parfait mais agréable qu’il y a dans Demain j’aurai vingt ans. 

Extraits : 

« Maman Pauline, je ne me vante pas, elle sait comment bien griffer le visage des femmes méchantes. Quand elle griffe une femme méchante c’est on dirait qu’elle a écrit un gros livre en chinois ou en arabe sur son visage. »

« Si ça sent très mauvais dans la classe, c’est  à cause des élèves qui font pipi pendant que le maître est en train de les chicoter. Lorsque tu bavardes trop, le maître te dit de te lever, d’aller te mettre à genoux et de croiser tes bras sur l’estrade devant les autres camarades qui te regardent. Le maître continue à faire sa leçon pendant que toi tu es là en train de te demander : Qu’est-ce qui va se  passer lorsqu’il va finir sa leçon et qu’il va venir vers moi ? Alors tu pleures d’avance. Or tu gaspilles tes larmes car c’est après qu’il faudra pleurer, une fois qu’on t’aura fouetté. Et comme tu pleures d’avance, on t’entend . Et comme on t’entend, c’est que tu embêtes les camarades qui recopient la leçon, donc tu aggraves ton cas. Le maître se retourne vers toi, il est très fâché. Il va chercher une brique dehors. Il te dit de la tenir bien au-dessus de la tête et de ne pas bouger jusqu’à la fin de la leçon. Si tu laisses tomber la brique, il double ta punition »

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