lundi 16 janvier 2017

La petite souris

La petite souris va passer. Mais dans quel sens ? nord-sud ? sud-nord ? est-ouest ? ouest-est ? Je regarde partout, fébrilement. Je tiens à la voir passer. Elle est petite, et vient sans prévenir. Il faut être vigilant. Elle n’a pas de gyrophare, pas de sirène. Heureusement elle fait quand même du bruit,  c’est là ma chance, Et même plus de bruit qu’avant, car elle a grossi, s’est alourdie, empâtée. Alors là où avant elle faisait, mettons, frrt frrt, elle fait de plus en plus ploc, ploc, voire bam bam, ou, à tout le moins, tap tap, sur mon parquet. Parquet flottant soit dit en passant, quoique je n’ai jamais très bien compris sur quoi il flotte. Mais moi la flotte ça n’a jamais été mon truc, tout petit déjà ça me piquait les yeux quand ma mère me donnait le bain, et puis après au bord de la mer je m’ennuyais à la plage, ne me baignais pas, je n’aimais pas la mer globalement, j’étais plutôt montagne, et encore maintenant quand l’on, parfois, occasionnellement, rarement, presque jamais, me propose d’aller à la piscine, je me désiste.
La petite souris non plus n’aime pas l’eau apparemment. Je lui laisse systématiquement une gamelle d’eau de source, légèrement bouillonnante, genre jacouzzi. Elle bouillonne toute la nuit grâce à un système électrique que j’ai mis au point. J’ai un côté bricoleur. Mais jusqu’à présent jamais elle n’a trempé ses lèvres dedans. Je m’en serais aperçu. Quand je dors, c’est toujours d’une oreille, d’un œil, d’une épaule. Je dors sur la tranche, penché, un petit peu comme une tranche de pain dans un grille-pain. Et toutes les deux heures environ, hop, changement de côté. Ça me rappelle mes vacances à Saint-Raphaël lorsque, estimant qu’elle était suffisamment bronzée d’un côté, ou qu’elle n’était pas suffisamment bronzée de l’autre, ou craignant un coup de soleil, ma mère, qui aime la mer, changeait de côté. Je l’imite chaque nuit en quelque sorte, et plusieurs fois par nuit. Mon réveil et paramétré pour sonner toutes les heures, et comme je dors entre trois heures et quatorze heures – c’est selon - par nuit – je suis sûr de faire au moins deux rotations par nuit. Et ça me fait de l’exercice, et c‘est bon pour ma santé m’a dit mon médecin. Je fais aussi trente minutes de marche par jour. Deux rotations par nuit, plus trente minutes de marche par jour : avec ça vous ne risquez rien m’a dit mon médecin. Vous exagérez, lui ai-je répondu. J’exagère, a-t-il convenu.
Mon sommeil est en tout cas suffisamment léger, subtil même, pour que je soie sûr et certain que le bruit de la souris lapant dans la gamelle m’éveillerait aussitôt. J’attends l’éveil. Il viendra. Si besoin, je mettrais sur son chemin des petites boulettes qui donnent soif. L’équivalent, en quelque sorte, des cacahuètes pour nous autres humains, surtout quand elles sont salées, ou très salées, ou trop, beaucoup trop salées, comme le sont celles que le patron du pmu en bas de chez moi me fourre dans la bouche – mais je ne me laisse pas faire – chaque fois que je vais boire un pastis, une bière, une grenadine, une menthe à l’eau, peu lui chaut, il ne s’arrête pas à ça.
Il espère me donner soif, et que comme ça je prendrai une autre consommation, il faut faire vivre le petit commerce, etc. Avec moi souvent ça ne prend pas car je suis fier, alors je préfère retourner chez moi en salivant, la bouche sèche comme un sirocco, et en courant tellement j’ai soif, qu’avouer au patron que ses sales cacahuètes m’ont donné soif et que je vais par conséquent reprendre un pastis ou une menthe à l’eau. Alors je me rue chez moi et me jette sur le robinet en étain du lavabo à côté des chiottes et j’ouvre le robinet et je bois à grandes lampées. Le jour où la petite souris aura mangé mes petites boulettes asséchantes, elle n’aura pas le choix, elle ira à la gamelle, elle lapera, bruyamment, alors je l’entendrai, je l’attraperai, par la queue, les oreilles, la moustache, et c’en sera fini de ses allées et venues nocturnes chez moi. La petite souris aura passé.

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