Quarantaine.
C’est là que j’en suis. Je suis sur un radeau, ou un bateau. Un objet flottant
en tout cas. Et je n’ai pas le droit au contact avec les autres. Ils ont
peur de la contagion, peur d’attraper ma maladie, que d’ailleurs ils ne
connaissent pas. Ils ne savent même pas trop si j’en ai une. Ils se basent sur des impressions visuelles : ils aperçoivent au loin mon visage
jauni, et ils font des déductions. Moi je veux bien ; mais j’en ai vus, des
visages jaunis, au cours de ma longue vie. Et c’était à chaque fois le même
jaune. Et ce n’était jamais la même maladie. Et parfois il n’y avait pas de
maladie.
Si
mon visage était d’une autre couleur, et d’ailleurs il l’est à certains moments
de la journée - car le soir il s’obscurcit comme le ciel - si mon visage
disais-je était d’une autre couleur, il y aurait le même problème. Ce n’est
pas spécifique au jaune. Je n’ai rien contre le jaune. J’aime bien le jaune.
Vive le jaune.
Je
m’ennuie, parfois, en quarantaine. Je ne sais pas si je m’amuserais davantage
si j’avais le droit d’accoster. Mais j’aurais des choses à regarder, autres que
les embruns, les mouettes, les nuages, les crêtes des vagues, le guano qui
flotte sur les flots, le plancton que je devine là sous la vague, les algues
vertes et marron et rouges et bleues et violettes et jaunes, décidément.
Elles
ne sont pas assorties à mon visage, car ce n’est pas le même jaune, il y a
plusieurs jaunes, dieu dans son infinie sagesse en a créé plusieurs, et ils ont
survécu, la plupart, aux tempêtes et aux tsunamis, aux bombardements
d’Hiroshiki et de Nagasama et au tremblement de terre de Lisbonne, et à la
peste noire, ou brune, et à diverses engloutitudes et à maintes complications
et péripéties, et aussi à l’extinction des dinosaures, et au Déluge. Les jaunes
ont la peau dure.
Plus
je regarde les algues plus je me dis que peut-être, quand j’en aurai fini avec
la quarantaine (car on m’a dit que la quarantaine a une fin, qu’un jour il faut
revenir), peut-être elles me manqueront, ces algues vaguement jaunes et surtout
très, très marron. Le jour venu je tendrai mes bras vers elles, en disant, au
revoir petites algues, adieu, et je pleurerai – qu’est-ce que c’est bon de pleurer, Pleure,
pleure, me disait ma maman quand j’étais petit et que je pleurais, mais
pourquoi me disait-elle de faire ce que je faisais déjà ? Jamais elle ne
me disait, à tout hasard, lorsque rentrant de l’école je plongeais dans le
frigo et en sortait des yaourts sucrés, pleure fiston, pleure. Non décidément,
elle attendait que je pleure pour me dire de pleurer.
Je
n’aime pas pleurer en public. Tant que je suis en quarantaine je pourrais en
profiter pour pleurer tout mon soûl. Oui, faut que j’en profite. Mais je suis
sec.
C’est
mon côté contrapuntique. Sec au milieu des flots. Je me souviens d’un trek dans
le Sahara où là, par contre, en revanche, je pleurai des litres, pas potables
malheureusement, mais certains de mes congénères ne s’arrêtant pas à ça
venaient boire à ma citerne, et peut-être me doivent-ils la vie, car il faisait
soif, à partir du troisième jour de randonnée. On aurait dû prévoir des
gourdes.
Et
c’est en imaginant nos corps décharnés, nos os blancs et secs sous le soleil du
désert, que, oubliant un instant que je n’en avais pas je pensais à mes proches
et à leur tristesse, qui sait, en apprenant mon lamentable décès et déssechement,
et c’est à ce moment là que je me mettais à pleurer des seaux, et mes
congénères lâchant un instant les bâtons noueux achetés par eux et par
correspondance au Vieux Campeur, profitant de l’aubaine, burent à ma fontaine,
et depuis que mes larmes ont étanché plusieurs soifs d’un coup et arraché,
c’est une image, plusieurs randonneurs aux griffes du désert, je me dis,
peut-être après tout que dieu existe, et qu’il est gentil.
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