mardi 21 juillet 2020

Petit parapluie



Petit parapluie

Alors que la tempête s’abattait sur moi, je me suis dit, Pourquoi ça tombe sur moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Et puis je me suis dit, Tu n’es peut-être pas le seul. Alors j’ai voulu en avoir le cœur net. Alors j’ai regardé autour de moi. Les gens allaient nu-tête, et avaient l’air serein. Ils souriaient. Il n’y avait pas d’intempéries, au dessus d’eux. Les veinards. Alors que moi, décidément, le vent fouettait mon visage, la pluie me cinglait. Et je regrettais amèrement de n’avoir pas pris mon parapluie. En même temps me disais-je, si j’avais mon parapluie, je l’ouvrirais, tel que je me connais, afin de me protéger de la pluie. Et si je l’ouvrais, mon parapluie, il offrirait une prise au vent. Et je le sentirais très fort, le vent, dans mon parapluie. Je serais obligé de serrer très fort le manche, pour empêcher que le vent fasse s’envoler mon parapluie. Alors ça serait un sujet d’inquiétude. Alors c’est peut-être mieux finalement que je n’aie pas mon parapluie, me dis-je finalement. J’ai eu envie d’acheter un ciré. Il y avait un marchand de cirés, à proximité. Un marchand qui tenait un grand magasin, avec des cirés jaunes. Dans son magasin il y avait aussi des cirés bleus. Et le marchand s’était même tellement diversifié qu’il avait récemment fait l’acquisition de cirés violets, indigo, rouges, oranges, verts. Mais il vendait surtout des cirés jaunes. Je me suis dirigé à grands pas vers ce magasin. Le vent me faisait face. Il soufflait dans le mauvais sens. J’ai tourné ma tête vers le ciel, et je me suis adressé à Dieu. Je lui ai adressé une prière. J’ai un peu blasphémé je l’avoue, parce que j’ai crié, je m’en souviens très bien, Putain de bordel de merde de nom de dieu, tu pourrais pas souffler dans l’autre sens ? Et là je me suis tu et j’ai regardé le ciel et écouté le vent pour savoir si ma prière allait être exaucée. Ma prière n’a pas été exaucée, le vent a continué à souffler dans le mauvais sens, et moi à marcher vers le magasin de cirés. Je baissais mon buste, pour gagner en aérodynamisme. Ma tête regardait vers le sol, et mon buste était presque parallèle au sol. Et ainsi non seulement je gagnais en aérodynamisme, mais la tête ainsi tournée vers le sol, j’empêchais que la pluie me cingle le visage. Elle ne faisait que tomber lamentablement sur ma nuque, mes cheveux. Ce qui ne me faisait presque rien. Ha ha. Profitant du confort de ma position, j’ai accéléré. De temps en temps, je relevais légèrement la tête, pour vérifier que j’allais toujours dans la bonne direction. Je constatais que je continuais à me diriger, en gros, vers le magasin de cirés. 
J’avais un peu dérivé, certes. Mais pas trop. A un moment je l’ai aperçu. Mais il était fermé. C’était dimanche. Tant pis. Je ne m’achèterais pas de ciré. 
Je voyageais léger, en somme. Ça n’était pas plus mal, au fond. Je restais positif. J’essayais d’éviter de regarder les gens. Car lorsque j’en apercevais, des gens, je constatais que décidément la tempête les épargnait. Quelle injustice, me disais-je. et je ruminais de sombres pensées. Je me consolais en me disant qu’ils auraient soif, peut-être, au bout d’un moment, les gens. Et qu’alors me voyant marchant sous l’eau ils m’envieraient. Mais me voyaient-ils ? Je n’en étais pas très sûr. Quand je les voyais, ça n’avait pas l’air réciproque. A un moment, il y en a un qui s’est cogné contre moi. Moi je ne me serais pas permis, de me cogner contre lui. Mais lui ne s’est pas gêné. Je l’ai vilipendé. Il n’a pas répondu. Il a regardé autour de lui, n’a pas daigné poser ses yeux sur moi, et a repris sa route ensoleillée. Le mystère s’épaississait. 
C’était quoi cette malédiction ? pourquoi ce micro-climat au dessus de moi, par dessus moi ? moi qui ai toujours tout bien fait comme il faut ? bonnes notes à l’école, quand j’étais petit. Père et mère respectés. Mon prochain, aimé. La plupart du temps. Parfois ça dépendait du prochain, oui, certes. Mais bon. Je ne comprenais pas. Cette tempête localisée, cette tempête particulière, cette tempête personnalisée, exprès pour moi : c’était à n’y rien comprendre. Il y a une météo pour la communauté des humains, il y en avait probablement une pour moi seul, selon laquelle, ce jour là, c’était : tempête. Je me consolais en me souvenant que la tempête, je n’étais pas contre, par principe. J’avais de bons souvenirs de tempête. Notamment une tempête qui avait fait tomber un arbre dans le jardin de mes parents, lorsque j’avais sept ou huit ans. Excellent souvenir. J’avais sué sang et eau pour le planter, cet arbre. C’était un prunier. Je n’aime pas les prunes. Je n’ai jamais aimé les prunes. Il est donc logique que je n’aime pas particulièrement les pruniers. Mais, pour faire plaisir à ma mère, je l’avais aidée, à le planter, ce maudit arbre qui risquait de m’exposer au risque qu’on me dise, plusieurs fois par jour, Prends donc une prune, Tu veux pas une prune ? Tu es sûr ? Vas-y va, prends donc une prune. Etc. Et la tempête, c’est de ça qu’elle m’avait sauvé, c’est grâce à elle que je n’aurais pas à vivre ces scènes, parce qu’un jour de tempête le tronc du prunier s’est cassé en deux. Il n’était pas très épais, le tronc, c’était un prunier encore jeune, fragile. poussif. Mais quand même. Belle tempête. 
Une autre fois, une tempête avait éloigné du rivage un méchant, un ennemi. Longtemps après j’ai regretté de m’être réjoui de sa mort, par noyade, à plusieurs miles de la plage. Mais c’était vraiment un méchant. Il se moquait de moi quand il me croisait. Il avait une grosse moustache. Alors, petit gars ! me disait-il quand il m’apercevait jouant sur la plage. Et il me tirait les oreilles, les cheveux, moquait mes résultats scolaires. Alors quand un sauveteur en mer était revenu, dans son zodiaque, me disant, les larmes aux yeux, des sanglots dans la voix, on n’a pas pu le sauver, j’avais jubilé intérieurement. Aujourd’hui je regrette. Il n’était peut-être pas si méchant. 
La tempête ça en fait des choses. Mais quand même pourquoi celle-ci, pourquoi maintenant, pourquoi pour moi seul ? il était temps de rentrer. Je n’avais pas de ciré. Je n’avais pas de parapluie. Il faisait beau. il faisait beau partout, sauf sur moi. j’ai acheté un journal. Un grand journal. Format tabloïd. Je l’ai déplié au dessus de moi. ça n’était pas aérodynamique du tout. ça a fait baisser ma moyenne. Mais la pluie est tombée sur le journal, et plus sur moi, et je me suis dit qu’après tout je m’en foutais, je me suis aperçu que le vent qui soufflait si fort était tiède, presque chaud, je me suis aperçu que j’étais bien, et je me suis dit que la tempête, je l’aimais, pas seulement parce qu’elle faisait tomber les pruniers, mais aussi parce que la tempête, c’est joli, et il s’y passe quelque chose, et quelque fois même c’est même pas froid. Alors je suis rentré avec mon journal sur la tête, jusqu’à chez moi, et une fois chez moi, j’ai pris mon parapluie, entre mes bras, et je lui ai parlé, et je lui ai dit, petit parapluie, petit parapluie, tu as raté une belle tempête. Et tu n’es pas le seul à avoir raté une belle tempête. Les autres aussi ont raté une belle tempête. Ils ont eu beau temps. Demain il y aura encore une belle tempête. Demain, ou bientôt. Et je t’emmènerai avec moi, petit parapluie. Et nous rirons, petit parapluie. Nous rirons du vent, et du temps, et de la pluie, et de la vie. 
Je t’aime petit parapluie.



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