mardi 21 juillet 2020

Quatre virgule dix-huit

Il habite à quatre virgule dix-huit verstes de chez nous. D’après les calculs de mon père. Et mon père, il s’y connait, en calcul. Tout petit déjà, dans sa classe, c’était le meilleur, en algèbre. C’est du moins ce qu’il prétendait. Ma mère ne niait pas.  C’est là-bas qu’ils s’étaient connus. A l’école.
Moi je respectais beaucoup mon papa. Alors, pour les quatre virgule dix-huit verstes, je n’osais pas lui demander, Euh, tu es sûr ? Je n’osais presque pas me le demander, même. Mais quand même. Quatre virgule dix-huit : je trouvais ça étonnamment précis. 
Je n’aimais pas contredire mon père, de toute façon. Un jour, il m’avait dit que les sapins perdent leurs épines en hiver, je lui avais dit, Tu es sûr, il avait d’abord dit, Bien sûr mon petit, et puis j’avais un peu insisté, et lorsqu’il s’était aperçu de son erreur il avait ouvert de grands yeux honteux, et avait répété d’une voix hébétée, Euh, fiston, euh, finalement tu as raison, je me suis trompé. Les sapins, leurs aiguilles, ils les gardent tout le temps. Ce jour là j’avais été très triste pour mon papa.
Mais pour les quatre virgule dix-huit verstes, il se peut qu’il ait raison. Il a des outils sophistiqués, pour mesurer tout ça. Des outils de géomètre. Pour bien mesurer. 
Et puis, et puis, il y a ses fameux nomogrammes. Qui l’aident à affiner ses calculs. A en consolider les résultats. Alors oui, peut-être que Boris habite vraiment à quatre virgule dix-huit verstes. Et si vraiment il habite à quatre virgule dix-huit vestes alors oui d’accord c’est un peu loin pour un petit gars comme moi pour aller tout seul à travers la forêt le retrouver. 
J’irai l’année prochaine. Quand je serai grand.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire